« I heard you trough the grapevine »

Caroline Soyez-Petithomme


Tall Tales and Short Stories est une performance de Tris Vonna-Michell à laquelle j’ai assisté le 26 octobre 2007 à la galerie Cubitt de Londres. Cette performance était le premier acte d’une série de trois donnée dans le cadre d’une exposition personnelle. Les deux autres actes furent joués les 10 et 24 novembre.

En février et mars 2007, j’avais eu l’occasion de voir deux autres performances à Francfort-sur-le-Main. La première eut lieu à la Städelschule (Ecole des Beaux-arts) pour l’exposition de milieu d’année des étudiants. Vonna-Michell s’était isolé dans la salle servant habituellement d’infirmerie. C’est un principe de ses performances : elles ne peuvent pas être données au milieu d’une exposition collective ou en regard d’autres oeuvres. La relation que l’artiste établit à l’espace est multiple et superpose plusieurs principes structurels. Soit il intègre des éléments préexistants à son dispositif de monstration, soit il invente un espace dans l’espace, ce qui revient à délimiter une scène propre à accueillir la narration. Cependant, il intègre parfois dans ses récits, donc dans le contenu même de ses oeuvres, des caractéristiques visuelles, historiques ou anecdotiques propres au lieu. Vonna-Michell définit toujours un espace clos dans lequel il dispose des projecteurs de diapositives, des images en photocopies noir et blanc, quelques fragments textuels, un bureau et un minuteur. Il s’approprie chaque fois un lieu qui crée ainsi un contexte et fonctionne comme un atelier d’artiste portatif et éphémère.

Néanmoins, Vonna-Michell joue parfois avec la spécificité du lieu et peut choisir d’inclure ou de mettre en évidence, dans l’espace propre qu’il délimite, des objets ou des éléments architecturaux du lieu d’exposition. Dans ce cas, l’oeuvre devient en partie une production in situ. Pour le Rundgang, l’exposition à la Städelschule, il s’était approprié le mobilier existant déjà installé, c’est-à-dire un lit d’infirmerie utilisé comme banc pour un ou deux spectateurs et une armoire en haut de laquelle il avait disposé son projecteur de diapositives. Pour l’exposition de groupe Aspen III à la galerie Neue Alte Brücke, il avait collaboré avec l’artiste américain Erik Blinderman afin de construire une installation permettant de fermer une salle de l’espace d’exposition. Dans les deux cas, les performances prirent donc place dans un espace clos où il avait installé un bureau et deux projecteurs de diapositives.

Les oeuvres de Vonna-Michell résultent d’un processus de création perpétuellement in progress. L’exposition devient ainsi une étape intégrante de la performance essentiellement basée sur des fragments de récits de voyage. Le rythme des expositions auxquelles l’artiste est invité s’étant accéléré, il est intéressant de noter que sa pratique tend à se confondre avec la logique de distribution de l’art contemporain (expositions ou évènements temporaires). La condition nomade de l’artiste, originellement définie comme un élément du processus de création de ses performances, se retrouve donc induite par le mode de fonctionnement de l’art contemporain. L’idée du voyage est abordée par l’artiste de façon métaphorique, puisqu’il joue de cette position ambiguë combinant celle du conteur et du passager. Reconstruisant à chaque apparition un nouveau récit, il convoque une grande part d’imagination et ses performances consistent avant tout en un voyage qu’il fait avec le public[1].

Dans les deux premières performances jouées début 2007 à Francfort, le dispositif élaboré par l’artiste se composait d’un bureau, autour duquel il conviait une ou deux personnes à venir s’asseoir. Cette forme était particulièrement intime : Vonna-Michell proposait à quatre ou cinq personnes supplémentaires, au maximum, de suivre la performance debout face à lui derrière les deux personnes assises (comme il le fit par exemple lors du vernissage de l’exposition Aspen III à la galerie Neue Alte Brücke).
En revanche, à la galerie Cubitt, ses performances empruntaient davantage au théâtre. Cette dernière exposition se jouait en trois actes chacun divisé en trois scènes interrompues par des entractes. L’artiste performait debout face au public, l’intimité n’était plus liée au face à face d’un ou deux spectateurs assis derrière le bureau, mais davantage à l’éclairage tamisé et au décor crée pour l’occasion: accrochage de fragments textuels et d’images réparties sur les murs et posées sur le sol de la galerie. Pour le troisième acte, Vonna-Michell se plaça au milieu du public, cassant ainsi la frontalité du théâtre à l’italienne et rendant plus évidente la référence au conteur ou narrateur folklorique.

L’intimité relève également d’un acte rituel participatif : au début de chaque performance, l’artiste invite un spectateur à définir la durée de l’oeuvre à l’aide d’un minuteur de cuisine. L’histoire s’arrête lorsque la sonnerie retentit. L’arrêt du flot des paroles est orchestré par une contrainte extérieure et arbitraire, dont le public est finalement responsable.
Quant au contenu, la combinaison d’histoires personnelles, réelles ou purement fictionnelles participent à la création d’une certaine forme d’intimité. Certains des mots font référence à une conversation qu’il a pu avoir avec un des spectateurs avant la performance. L’influence est donc réciproque : il y a d’une part le spectateur, son comportement, ou du moins ce qu’il laisse transparaître lors de la réception de l’oeuvre, et d’autre part, le performer, le jeu et le contenu du récit qu’il adapte en fonction de l’ambiance et des réactions qu’il perçoit. Au début de chacune de ses interventions, l’artiste précise de nouveau que personne ne doit interrompre la performance ou s’adresser à lui. Toutefois, l’aspect le plus important demeure le public.[2] En effet, Vonna-Michell se plaît, par exemple, à créer une illusion chez le spectateur, qui est parfois surpris d’entendre certains mots, certains noms d’objets qui lui sont familiers ou dont il a parlé avec l’artiste. Cependant, la fragmentation des éléments du récit et le flot de parole contribue à crypter ses références et à amplifier l’aspect fictivement personnel du contenu. Le rapport de l’artiste aux images joue de cette même ambiguïté. Le public voit les images, les photographies qu’il prend au cours de ses voyages et les montre ou les projette comme pour articuler son récit. Au fil de ces narrations non-linéaires, le public a instantanément l’impression que les photographies sont des entrées dans le monde de l’artiste, alors que leur signification varie d’une performance à l’autre.
Le statut des images au sein de son propre travail peut être rapporté à la pratique d’artistes tels que Mike Kelley, qui est venu à la performance par le biais d’exercices d’explications de ses sculptures[3]. Vonna-Michell a suivi des cours de photographie et c’est sa volonté de déconstruire les images, de les verbaliser et de contrôler d’une certaine manière leurs potentiels narratifs qui l’ont conduit au storytelling.

Dans de récents articles et communiqués de presse[4], l’artiste est qualifié (et se qualifie lui-même) de storyteller. Cependant, dans le présent contexte, ce terme sous-tend une autre définition que celle du conteur ou narrateur traditionnel (voire folklorique) tel qu’il est notamment défini par Walter Benjamin. Selon ce dernier, dans l’imaginaire collectif, un des critères d’identification du Erzähler[5] (en français conteur ou narrateur) est l’utilisation des voyages comme source d’inspiration principale ou matériau de création premier. « Celui qui fait un voyage a quelque chose à raconter dit le proverbe, qui décrit le conteur comme quelqu’un qui a vu du pays. »[6]

Le rapport aux images – comme origine puis éléments de la narration – développé par Tris Vonna-Michell, peut être rapproché du travail de Jeff Wall, dont une oeuvre et un texte portent le titre The Storyteller. La dimension nostalgique est importante dans l’oeuvre de ces deux artistes et est en partie liée à la quasi-disparition des conteurs ou narrateurs perpétuant un répertoire d’histoires par le biais de la tradition orale. « La figure du conteur est un archaïsme, un type social qui, du fait des transformations technologiques, a perdu sa fonction d’alphabétisation. Elle a été reléguée aux marges de la modernité, où elle survit comme une relique de l’imagination, comme un archétype nostalgique, un spécimen anthropologique, en apparence mort. »[7] Tris Vonna-Michell n’incarne que partiellement le rôle du conteur, ce qui amplifie l’effet nostalgique engendré par la quasi-disparition de ce type social et qui maintient, par le biais de cette ultime évolution du conteur, le lien avec ses propres origines culturelles. L’artiste est originaire de Rochford dans l’Essex, au sud du Royaume-Uni. Cette région accueille chaque année des festivals de storytelling et certaines associations de conteurs s’occupent de perpétuer le patrimoine oral que constituent les histoires locales en intervenant dans les écoles ou autres lieux publics. Autre lien avec ses origines, celui-ci plus personnel, son père, Erik Vonna-Michell, était un poète sonore, entre autre ami de Henri Chopin[8]. « Erik est mon père – il avait une collection importante d’enregistrements audio et de disques, et il s’expérimentait dans le domaine de la composition sonore ou expérimentale avant ma naissance. Je voulais boucler la boucle de ce projet particulier, lequel a dérivé de chapitre en chapitre/ ou d’une oeuvre à l’autre sur une période de trois ans : Finding Chopin: In Search of Holy Quail, Down the Rabbit-Hole, Act 7: The Trial. Ces trois oeuvres ont toutes été développées à partir d’enregistrements indéfinissables et de compositions que mon père a créés. J’étais conscient de cela, mais je voulais créer une stratégie parallèle d’enquête autobiographique. Je lui ai demandé de sélectionner une oeuvre de ses archives, qui pouvait avoir une relation avec ma poursuite. Coïncidence ou pas, il a choisi cette pièce qui date de mon année de naissance.»[9]

La différence fondamentale entre la pratique de Vonna-Michell et la tradition orale relève avant tout du contexte dans lequel il évolue. Contrairement au conteur traditionnel, l’artiste ne performe pas au coin du feu pour ses proches, ni dans les pubs, ni dans les librairies ou espaces dédiés à la culture communautaire locale. Ses histoires sont diffusées dans les espaces d’exposition et touchent donc un public beaucoup plus restreint. Le contenu même de ces histoires ne peut que difficilement être comparé aux contes populaires : la façon dont Tris Vonna-Michell construit ses récits ne suit pas une logique narrative linéaire dont la structure permettrait ensuite de retransmettre le contenu dans son ensemble ou de reconstituer précisément son articulation. La primauté donnée à la voix, à la sonorité des mots et au rythme qu’il leur insuffle, rapproche son travail du domaine de la poésie sonore, mais également de la musique hip-hop, le flot des paroles de l’artiste pouvant aisément être comparé à celui des MC.

Un des éléments qui permettent d’établir des liens avec la tradition orale du conteur ou narrateur est celui de la réception, mais surtout de la transmission de l’oeuvre. En effet, un des mécanismes essentiels de la diffusion et du devenir de l’oeuvre de Tris Vonna-Michell relève du bouche à oreille ou de la transmission orale à laquelle le spectateur participe a posteriori lorsqu’il tente de reconstituer l’histoire qui lui a été contée. Les performances de Vonna-Michell suscitent ensuite une rencontre entre auditeurs parce qu’ils ont partagé cette expérience, se sont peut-être sentis mal à l’aise[10] et se retrouvent ensuite complices, se posant les mêmes questions ou ayant retenu les mêmes fragments. Le processus même de l’oeuvre se perpétue ainsi, renouvelant chaque fois l’articulation des fragments entre eux et reproduisant d’une certaine façon le jeu amorcé par l’artiste pour chacune de ses performances. Ce devenir de l’oeuvre sans l’artiste participe de la même logique que celle de la tradition orale, qui tend finalement à faire percevoir l’auteur davantage comme un interprète, voire à faire disparaître l’artiste, laissant ainsi passer le récit dans le domaine de l’anonymat ou de la mémoire collective.

Le contenu des récits de Tris Vonna-Michell nous éloigne de la définition et du rôle du storyteller. L’artiste brouille les pistes narratives par des associations d’idées, de sonorités qui le guident d’un mot ou d’une expression à une autre et également par des effets d’annonces. Il commence ses performances et les ponctue de formules esquissant une structure : «I am going to tell you a story », « Here is the clue, the key…», «At the beginning of the story… », « The story starts here… ». Mais l’artiste ne suit en rien cette prétendue structure : l’effet provoqué est celui d’une fuite perpétuelle, d’un récit dont l’articulation échappe, également du fait de la rapidité et de la logique psychologique très personnelle dont elle résulte.

Ce sont des improvisations que l’artiste présente à un nombre variable d’auditeurs qui se préparent à regarder et écouter une performance et qui, parfois même, savent à l’avance qu’ils sont venus afin d’écouter une histoire. Dans le domaine de la recherche en psychologie, plus précisément dans les études sur la verbalisation, la codification et la mémoire de notre vécu, il apparaît que les histoires, les scripts et les scènes sont liées par des « formes d’organisations schématiques et imbriquées ».[11]

Les performances de Tris Vonna-Michell redistribuent les éléments ou informations selon lesquelles nous décrivons quotidiennement les histoires, scènes ou scripts. L’artiste brasse les procédés ou les liens qui nous permettent de distinguer ces trois catégories, ce qui n’empêche pas la compréhension globale du récit, mais qui par ailleurs rend sa restitution exacte ou sa mémorisation très difficile. C’est en cela, que ces récits peuvent être analysés selon une organisation dépendante de schémas et non pas de catégories fixes. À chaque nouvelle occurrence, la fonction des objets, des indications de temps et d’espaces, ainsi que les liens qu’ils entretiennent avec le reste des informations, sont modifiés. L’artiste réinvente plusieurs fois au cours de sa performance la logique d’imbrication hiérarchique des éléments.

Les trois catégories — histoires, scripts et scènes — permettent de saisir différents schémas de notre expérience spatio-temporelle. Vu que toutes les organisations mentales sont par nature schématiques, la définition et la structure de chacune de ces trois catégories révèlent des types communs de processus psychologiques. Autrement dit, la méthode « schématique » consiste à définir la nature et la logique des liens tissés d’un élément à l’autre : la transformation de l’expérience, via la verbalisation ou la codification, est alors conçue « comme un petit réseau d’informations ».[12] Cette relation à l’information dont nous sommes saturés au quotidien recoupe les propos de Benjamin : « […] avec le triomphe de la bourgeoisie— […] la presse constitue à l’époque du grand capitalisme l’un des instruments essentiels — on a vu entrer en lice une forme de communication. […] L’information en prise sur la réalité la plus immédiate trouve désormais plus d’audience que les nouvelles venues de loin. Celles-ci […] jouissaient d’une autorité qui les rendait valables en l’absence même de tout contrôle. L’information, elle, prétend être aussitôt vérifiable. On lui demande donc en premier lieu d’être “compréhensible par elle-même”. »[13] Toutefois, l’oeuvre de Vonna-Michell prend corps dans le contexte actuel, celui d’un nouvel âge de la société d’information que Christian Salmon analyse à travers le prisme du revival ou du retour du storytelling. L’ascension du récit comme moyen de créer et diffuser l’information est devenue une « technique de communication, de contrôle et de pouvoir. Au milieu des années 1990, en effet, le tournant narratif des sciences sociales coïncide avec l’explosion d’Internet et les avancées des nouvelles techniques d’information et de communication qui créent les conditions du storytelling revival et lui permettent de se diffuser aussi rapidement. »[14] La position du conteur adoptée par Tris Vonna-Michell prend une signification aujourd’hui très différente par rapport à celle décrite par Benjamin, qui a figé la définition du conteur, souvent mal utilisée pour parler d’oeuvre d’artistes contemporains. Si certains des critères benjaminiens précédemment évoqués permettent de définir et comprendre l’oeuvre de certains artistes contemporains, la réactualisation du rôle du storyteller semble néanmoins nécessaire afin d’éclairer telles pratiques par rapport au contexte historique et social. Christian Salmon explique ainsi ce passage à une nouvelle forme de dissémination ou codification de l’information : « Longtemps considéré comme une forme de communication réservée aux enfants dont la pratique était cantonnée aux heures de loisirs et l’analyse aux études littéraires, le storytelling connaît […] un surprenant succès, qu’on a qualifié de triomphe, renaissance ou encore revival. C’est une forme de discours qui s’impose à tous les secteurs de la société et transcende les lignes de partage politiques, culturelles ou professionnelles, accréditant ce que les chercheurs en sciences sociales ont appelé le narrative turn et qu’on a comparé depuis à l’entrée dans un nouvel âge, l’âge narratif. »[15]

Dans l’oeuvre de Tris Vonna-Michell, la progression du récit de chacune des performances n’est pas linéaire mais davantage horizontale. Certains fragments sont récurrents et constituent des entrées dans la myriade de micro-narrations tissées par l’artiste. Cette manière de structurer le discours évoque évidemment la notion de réseau et fait écho aux systèmes de diffusion des informations via Internet. La méthode utilisée par l’artiste se rapproche du mode de fonctionnement du moteur de recherche et du lien hypertexte permettant d’ouvrir des fenêtres via des mots clés. Convoquant la notion d’aura conceptualisée par Benjamin, les performances-récits de Vonna-Michell participent d’une sorte de recréation du mythe de l’artiste et de son oeuvre, par le caractère éphémère de celle-ci, mais également par sa méthode de monstration et de diffusion. Le contenu, qui inévitablement échappe au spectateur, invite à focaliser l’analyse sur l’importance du processus, qui tend d’une certaine façon à sans cesse retarder, voire empêcher la réception de l’oeuvre, laquelle fonctionne quasiment selon un principe d’indexation. Cette pratique rappelle le travail d’autres jeunes artistes, ainsi Ryan Gander dont le livre Appendix[16] s’ouvre sur un index préfigurant un assemblage de fragments textuels et visuels. L’index fonctionne comme une liste de mots clés offerts aux lecteurs afin de pénétrer un univers personnel rendu cryptique. Ce type d’expérience contribue à maintenir une sorte de mystère de l’oeuvre entretenue par l’opacité d’un récit qui laisse ouvertes certaines brèches : clés, éléments de présentation de l’oeuvre, formels ou langagiers, qui sont récurrents et fonctionnent comme de possibles entrées de l’oeuvre.

A la galerie Cubitt, Vonna-Michell fit du reste directement référence à Internet et à la manière dont nous avons accès à l’information et dont nous la subissons. Il expliqua au cours d’un récit qu’un de ses amis lui aurait suggéré d’aller sur Google plutôt que de parcourir Paris ou Berlin à la recherche d’Otto Hahn[17] ou de Henri Chopin[18]. Mais l’artiste, qui induit une réflexion sur son travail au sein même de ses oeuvres, répondit qu’il préférait créer ses propres chemins et collecter les indices puisés dans la réalité physique de ville. C’est ici un point important : ce qui compte n’est pas tant la finalité de la prétendue recherche, mais l’émancipation vis-à-vis de toute logique ou prétendue logique engendrée par les liens habituels entre deux événements ou deux idées. Les investigations et déambulations urbaines auxquelles se livre l’artiste suivent un but avoué : inventer et créer une réalité parallèle. Paradoxalement, Vonna-Michell procède par le biais de ces « pseudo-enquêtes » parce qu’elles entretiennent leurs propres parts d’échec qui nourrissent les performances de l’artiste. Ces oeuvres fonctionnent comme un tout ou comme un répertoire ouvert : il s’agit chaque fois de rejouer les mêmes éléments, d’en écarter certains temporairement et d’en intégrer de nouveaux afin que le récit ne s’arrête jamais. Comme l’explique l’artiste , « I could never meet Henri Chopin, but could search forever ». Ce qui prime est donc bien le systématisme du processus, à la fois vain et absurde, mais également poétique, en ce qu’il convoque le potentiel d’imagination de chacun et surtout la capacité que nous avons de nous mettre en scène, de créer notre propre personnage et ainsi de nous raconter des histoires, à nous-mêmes et aux autres.

Notes

[1] Dans cet enregistrement radiophonique du 15 Novembre 2007, Jeannie Hopper interview Tris Vonna-Michell et Gabrielle Giattino, curator de Dispatch Office à New York.

http://www.wps1.org/new_site/content/view/2027/152/

[2] Idem. « (…) the main aspect is the audience ».

[3] « Kelley’s signature image-text combos developed around 1978 in such pieces as Tender Loving Care and The Poltergeist (1979). (…) These arresting works introduce a deployment of writing that for a decade lay at the centre of his activities in highly scripted performance and texted installation, for which they served as props, diagrams and a kind of marketable sediment. John C.Welchman, The Mike Kelleys, in Mike Kelley, Phaidon Press Limited, London, 1999, p52.

[4] « With his energetic performances, Tris Vonna-Michell adds a whole new chapter to the age-old tradition of storytelling.» in « Tris Vonna-Michell », site internet du Witte de With, http://www.wdw.nl/project.php?id=152.« The performances at Witte de With affected a generosity towards the audience, although they sit uneasily within the tradition of storytelling.», in Tris Vonna-Michell : Spinning tall tales: autobiography and politics in concocted histories, par Sam Thorne, Frieze Magazine, N°10, October 2007.

[5] Der Erzähler parut en octobre 1936 dans la revue Orient und Occident; puis en juillet 1952, le Mercure de France en publia une version française, « Le Narrateur ».

[6] Le Conteur. Réflexions sur l’oeuvre de Nicolas Leskov, dans OEuvres III, Walter Benjamin, éditions Gallimard, Paris, 2000.

[7] « The figura of the storyteller is an archaism, a social type which has lost its function as a result of the technological transformations of literacy. It has been relegated to the margins of modernity, and survives there as a relic of the imagination, a nostalgic archetype, an anthropological specimen, apparently dead. »

[8] « One of the core story lines within the Rabbit-Hole work was the search for a concrete poet (Henri Chopin), this chapter was entitled Finding Chopin: In search of Holy Quail which became the A side contribution. This particular chapter was stolen from an exhibition in 2006. In order to capture, or indeed attempt to re-materialize the stolen objects pertaining to that work, I decided to print a final verbal story of it, before the story lines would shift into a new existence or identity. That was one major incentive to make a vinyl, to attempt to reconstitute a verbal story. And the B side is a recording that my father made in 1982 which had a relationship to my searching for Chopin in a very abstract and open sense. The vinyl is more of a retrieval and re-identification than an older work. » in Flash Art Performance : Tris Vonna-Michell, par Nicola Trezzi, Flash Art Online, January 2008. http://www.flashartonline.com/OnWeb/Tris%20Vonna-Michell.html

[9] Idem : « Erik is my father - who had a vast collection of field-recordings and experimented in sound compositions years before my birth. I wanted go full-circle with this particular project, which has drifted from chapter to chapter / or work to work over the period of 3 years; Finding Chopin: In Search of Holy Quail, Down the Rabbit-Hole, Act 7: The Trial. These 3 works all developed from some elusive recordings and compositions that my father had made. I (…) wanted to create a parallel strategy of autobiographical enquiry. (…) I asked him to select a piece from his archive, which he felt had a relationship to my pursuit. Coincidence or not, he chose that piece, dated the year of my birth

[10] Op.cit., p115, Walter Benjamin évoque la potentielle difficulté de partager l’intensité de l’expérience du conteur, cette idée d’intimité et surtout le malaise qu’elle peut provoquer sont expliqués en ces termes: « Il est de plus en plus rare de rencontrer des gens qui sachent racontr une histoire. Et s’il advient qu’en société quelqu’un réclame une histoire, une gêne de plus en plus manifeste se fait sentir dans l’assistance. C’est comme si nous avions été privés d’une faculté qui nous semblait inaliénable, la plus assurée entre toutes : la faculté d’échanger des expériences. »

[11] « related schematic forms of organization » : « Stories are literary expressions that we read or hear ; they often refer to times long past or to imaginary worlds. Scripts, in psychological parlance, represent familiar, everyday events which fill our daily lives : trips to the grocery store, getting up in the morning, going to work – the routines of our workaday world. Scenes, of course, represent places, the rooms and streets and buildings in which our daily routines take place. » in Types of Mental Structure, in Jean Matter Mandler, Stories, Scripts and Scenes : Aspects of Schema Theory, Lawrence Erlbaum Associates, London, 1984, p1.

[12] « Some psychologists use the term schema as the basic building block of cognition. On this view all mental organization is schematic in nature. Our knowledge about an object or classes of objects, about an event or classes of events, about personnality traits and social norms, can all be considered as small networks of information that become activated as we experience these things and that function according to certains schematic principles. » Idem, p 2.

[13] Op.cit., p122-123

[14] Christian Salmon, Storytelling: la machine à fabriquer des histories et à formater les esprits, Editions La Découverte, Paris, 2008.

[15] Idem

[16] Ryan Gander, Appendix, Artimo, Amsterdam, 2003

[17] Otto Hahn (1878-1968) était un chimiste allemand, originaire de Francfort-sur-le-Main, il gagna le Prix Nobel en 1944 pour la découverte de la fission nucléaire.

[18] Henri Chopin (1922-2008) était un poète sonore ou lettriste français.